Il est des livres que l’on ne lit pas seulement: on les gravit.
Des livres qui ne réclament pas un acte d’intelligence, mais un acte d’amour ; qui invitent le lecteur à quitter la plaine du commentaire pour s’élever, pas à pas, sur un sentier de contemplation.
Il cielo più vicino de Vittorio Sgarbi appartient à cette lignée rare d’ouvrages qui réconcilient la pensée avec la vision, la parole avec le silence.
C’est un livre qui ne décrit pas la montagne: il la transfigure.
La montagne de Sgarbi est à la fois idée et substance, esprit et pierre, souffle et mesure.
À travers sept siècles de peinture et de mémoire, du Trecento aux portes du XXᵉ siècle, il recompose non pas l’histoire d’un motif, mais l’itinéraire de la conscience occidentale vers sa hauteur perdue.
Giotto ouvre la marche, élevant la roche franciscaine au rang de symbole de la foi incarnée ; Masolino en adoucit la lumière, et dans sa vision sereine le monde semble se mirer dans un air plus tendre.
Puis viennent Piero della Francesca et Bellini, Turner et Friedrich, Courbet et Segantini, jusqu’à Ghirri, Buzzati, Musić: chacun laisse, dans le livre, la trace d’une ascension accomplie ou interrompue, d’une nostalgie du ciel qui ne s’éteint jamais.
Sgarbi n’écrit pas en critique, mais en voyageur de l’absolu.
Il chemine parmi les œuvres comme parmi des sommets intérieurs, et chaque nom, chaque tableau, chaque vision devient une étape d’un pèlerinage esthétique.
Sa prose a le pas du montagnard et la légèreté de l’air des hauteurs : elle connaît la fatigue mais aussi la joie d’arriver là où l’air se raréfie et se purifie.
Sous chaque ligne, on perçoit un rythme de respiration lente, presque liturgique ; une musicalité secrète qui transforme la description en prière, la critique en chant.
Ce qui frappe le plus, c’est la cohérence lumineuse de sa pensée.
Il traverse les siècles sans perdre la boussole du beau, refusant l’arrogance de ceux qui mesurent l’art à l’aune du présent.
Pour lui, la montagne n’est pas métaphore du progrès, mais de la mémoire ; non domination, mais écoute.
Toute ascension est un retour.
Et lorsqu’il parle des cimes peintes, des neiges, des ciels penchés sur les rochers, il ne fait pas d’histoire de l’art: il compose une théologie naturelle, comme s’il reprenait une conversation interrompue entre l’homme et le divin.
Ce livre m’a profondément touché — non seulement par la limpidité de son style ou par l’ampleur de sa culture, mais par ce ton intérieur qui unit l’érudition à l’intimité de l’âme.
Je l’ai lu comme un voyage de réconciliation, une longue marche vers la pureté du regard, un dialogue muet avec la meilleure part de nous-mêmes.
Rares sont aujourd’hui les textes qui rendent à la contemplation sa dignité perdue : Sgarbi y parvient, simplement et fermement, nous rappelant que la beauté est toujours un exercice de vérité.
Sublime aussi est la sélection iconographique qui accompagne le volume : planches disposées avec une sagesse musicale, rapprochements qui respirent comme des accords, images qui n’illustrent pas mais amplifient le texte.
On a l’impression de feuilleter non un essai, mais un bréviaire d’images — un rosaire visuel qui scande la liturgie du regard.
Chaque reproduction, de Giotto à Friedrich, de Masolino à Ghirri, est choisie pour sa résonance intérieure, comme si le Professeur avait ordonné les œuvres selon le rythme d’un cœur contemplatif.
L’effet est extraordinaire: la parole et l’image se poursuivent, se répondent, se complètent.
Dans les chapitres conclusifs, où le discours devient plus personnel, Sgarbi retrouve la voix du témoin : celui qui a vu et veut transmettre.
Il parle de la montagne comme d’un seuil entre l’humain et le divin, d’une frontière où la pierre devient pensée et la lumière connaissance.
Et dans ces pages finales, intitulées La mesure de l’âme, l’art se transforme en philosophie de la limite.
Gravir, c’est comprendre qu’on ne peut posséder; c’est accepter que l’éternel se laisse seulement effleurer, jamais retenir.
En un temps où tout descend et se dissout, Il cielo più vicino nous rappelle la nécessité de remonter.
Sgarbi nous invite à respirer l’air clair des hauteurs, à regarder le monde depuis cet angle de pureté que la peinture — plus que toute autre art — sait évoquer.
C’est un livre qui réconcilie la connaissance et la grâce, la critique et la prière, l’intellect et le désir.
On le referme avec, en soi, un écho de silence, une lumière qui continue de s’élever en nous: il cielo più vicino, vraiment.